L'ouvrage coup de cœur d'avril : Petit dictionnaire des Sales Boulots par Nicolas Méra

Mary Read et Anne Bonny : des destins hors du commun

Les pirates ont-ils tous été des hommes violents à la jambe de bois vêtus d'un cache-oeil ? Le XVIIIème siècle va nous prouver le contraire !
Ann Bonny et Mary Read condamnées pour piraterie le 28 novembre. 1720 lors d'un tribunal de la vice-amirauté tenu à St. Jago de la Vega dans une île de la Jamaïque - Benjamin Cole | Domaine public
Ann Bonny et Mary Read condamnées pour piraterie le 28 novembre. 1720 lors d’un tribunal de la vice-amirauté tenu à St. Jago de la Vega dans une île de la Jamaïque – Benjamin Cole | Domaine public

Vous connaissez très probablement la franchise de films Pirates des Caraïbes, imaginée par Walt Disney Pictures et parue de 2003 à 2017, mettant en scène les aventures folles du fameux pirate Jack Sparrow. D’ailleurs, le terme « pirate », du latin pirata, désigne « celui qui tente fortune, qui est entreprenant ».

D’un point de vue plus historique, les noms des plus célèbres pirates résonnent : Barberousse, alias Khizir Khayr ad-Dîn ; ou Barbe Noire, de son vrai nom Edward Teach. Mais il y a eu des pirates plus hors du commun, qui ont même pu choquer leurs contemporains. Il s’agit de femmes dont les raisons de devenir pirates sont bien différentes l’une de l’autre, et qui n’étaient pas moins pirates que leurs congénères masculins. 

L’âge d’or de la piraterie : les Caraïbes de 1650 à 1730

Le début de cette période est marqué par une paix plutôt stable en Europe : en 1648, les traités de Westphalie mettent fin à la guerre de Trente Ans et la guerre de Quatre-Vingts Ans, qui déchiraient toutes les deux l’Europe. Les soldats, marins et autres personnes qui étaient engagées dans la guerre de leur nation se retrouvent sans travail. Si certains se reconvertissent ou vont dans la marine, d’autres choisissent un parcours bien singulier : celui de la liberté. En effet, les pirates sont des hors-la-loi qui ne sont sous ordre d’aucune nation, et qui s’organisent en communautés prêchant la démocratie : le partage du butin, une assurance pour les blessés, le fait que chaque voix compte… Ce modèle attire légions d’hommes, mais aussi des femmes, dont deux sont parvenues à faire rentrer leur nom dans l’histoire : Mary Read et Anne Bonny. 

Si les Caraïbes sont un espace de choix pour la flibusterie, c’est que cette zone regroupe tous les empires coloniaux, l’Angleterre, la France, l’Espagne… sans qu’aucune de ces puissances ne contrôle réellement la région. On voit même un espace qui se démarque et devient la capitale de la piraterie : l’île de Nassau.

Les îles caribéennes sont donc très disputées, les passages de navires européens fréquents, et les Caraïbes sont un point de passage pour la traite négrière. Cette instabilité permet le développement croissant de la piraterie. 

Mary Read et Anne Bonny, des femmes dans les Caraïbes

« se [battaient] exactement comme des hommes, usant habilement de la machette et des pistolets, ne laissant aucune chance à leur adversaire », « débauchées et ne cessant de jurer »

Descriptions de témoins de ces pirates originales

La rencontre d’une femme travailleuse et honnête avec la piraterie 

Mary Read est née à Londres vers 1690 dans une famille pauvre. Après la mort prématurée de son père, sa mère décide de la travestir en garçon, pour continuer à toucher une pension et subvenir aux besoins de sa famille. Une fois adulte, elle décide de s’engager dans l’infanterie hollandaise lors de la guerre de Succession d’Espagne, puis dans la marine sur un navire qui part en direction des Indes occidentales. Ayant toujours été prise pour un garçon dans son enfance, il n’est pas compliqué pour elle de tenter fortune dans ce monde masculin

À l’été 1720, le bateau sur lequel elle navigue est pris à l’abordage par des pirates. Le capitaine du bateau flibustier est Jack Rackham, et comme à son habitude, il propose aux marins de rejoindre son commandement. Mary Read, sous le nom de Mark, se laisse tenter par le modèle de démocratie prôné par la piraterie, et ses codes d’honneur. Les esprits des pirates semblent plus ouverts, mais n’exagérons pas, les femmes ne sont (en théorie) tout de même pas acceptées. En rejoignant Jack Rackham sous le nom de Mark Read, elle rencontre sa partenaire et maîtresse Anne Bonny, qui contrairement à Mary, ne cache pas son véritable sexe. 

Un passé bien différent, celui d’Anne Bonny

Gravure d'Anne Bonny -  Auteur inconnu | Domaine public
Gravure d’Anne Bonny – aux alentours du XVIIIe siècle – Auteur inconnu | Domaine public

Anne Bonny, née vers 1700, est un peu plus jeune que Mary Read. Contrairement à celle-ci, elle vient d’une bonne famille, puisqu’elle est la fille adultère d’un bourgeois irlandais, qui s’installe en Caroline du Sud avec la mère d’Anne et y développe une plantation. Très jeune, elle a un caractère plutôt volcanique et un tempérament de feu : on dit qu’elle aurait tenté de poignarder sa gouvernante, et mordu un prétendant qu’elle n’appréciait guère. D’ailleurs, elle s’enfuit de chez elle à 17 ans, après avoir épousé un marin, James Bonny, sans l’accord de son père. Le couple s’installe à Nassau, dans l’archipel des Bahamas, la capitale des pirates. 

Nassau, l’île qui fait d’Anne Bonny une pirate 

L’île n’est pas dépourvue d’autorité, elle est gérée par deux hommes en particulier : Benjamin Hornigold et Henry Jennings. Nassau semble être une ville cosmopolite : tous les capitaines de navires pirates y font escale, notamment Barbe Noire, dont la seule vue pousserait les marins victimes de ses abordages à se rendre. 

Après avoir observé la vie à Nassau, Anne Bonny, qui ne souhaite pas prendre la voie de la prostitution (une pratique courante chez les femmes de cette région) se décide à se rapprocher de Jennings, réputé sadique et qui torture ses prisonniers. Un choix logique, la jeune femme irlandaise n’étant pas réputée pour sa douceur. Jennings est proche d’un autre pirate, John Calico Rackham, dont Anne s’éprend, et ce de façon réciproque

Jack Rackham devient vite le chef de la piraterie caribéenne, et tente même de racheter Anne à son mari. Celui-ci refusant la proposition du pirate, Jack Rackham et Anne Bonny s’enfuient. Elle devient sa compagne officielle, et ensemble ils naviguent sur les mers en pillant les galions espagnols et autres navires marchands. Tous connaissent le sexe d’Anne, qui ne cache plus le fait d’être une femme (ce qu’elle a pu faire à ses débuts, pour s’intégrer plus facilement aux équipages). Elle se vêtit d’habits d’hommes seulement lors d’attaques de bateaux. 

Très vite, elle est troublée par Mark Read, le pirate recruté par son partenaire. Qu’est-ce qui ne va pas chez cet homme ? 

Mary ne cache pas longtemps sa véritable identité, et elle dévoile son secret à Anne et Jack. Très vite, les deux femmes se lient d’amitié (et peut-être même plus ? cela, l’histoire ne nous le dit pas).

La fin précipitée d’une vie de banditisme

En octobre 1720, le bateau de Jack Rackham accoste en Jamaïque, les cales pleines d’or et de richesses. Pour fêter tout ce butin, les marins se saoulent ; les bouteilles d’alcool se vident, l’heure est à la fête. C’est pourquoi ils ne voient pas le capitaine et corsaire Jonathan Barnet, envoyé par le gouverneur de Jamaïque pour arrêter les pirates. Les deux femmes, les seules s’étant préservées de boire, combattront jusqu’à ne plus en pouvoir avec leurs sabres et pistolets, contre les corsaires ennemis. Elles ne se laisseront pas capturer sans se battre.

Tout l’équipage est capturé et condamné par pendaison, sauf les deux femmes, qui prétendent être enceintes. Les juges leur laissent la vie sauve car, en vertu du droit anglais, on ne peut pas tuer un être qui n’est pas encore né. 

« Nous prions la Cour de bien vouloir surseoir à notre exécution parce que nous sommes enceintes. »

Mary Read et Anne Bonny

Finalement, Mary Read meurt en prison quelques mois après, d’une infection ou de la fièvre jaune. Pour Anne Bonny, la fin de sa vie est plus mystérieuse : elle disparaît totalement à partir de 1721. L’hypothèse la plus répandue serait que son père, toujours très aisé, l’aurait libérée de prison pour qu’elle reprenne un schéma de vie plus simple et approprié pour une femme du XVIIIe siècle. Mais peut-être est-elle restée en Jamaïque sous une autre identité…

Un univers masculin où deux femmes se sont imposées

Selon les légendes laissées par les contemporains, il est raconté que Mary Read, avant d’achever un adversaire, dévoilait son sexe pour montrer qu’une femme pouvait se battre aussi bien qu’un homme. Dans la même lignée, elle et Anne Bonny auraient crié « venez vous battre comme des hommes » la nuit où leur bateau a été attaqué. D’ailleurs, les derniers mots d’Anne Bonny envers Jack Rackham, avant sa pendaison, auraient été que s’il s’était « battu comme un homme, il ne mourrait pas comme un chien ».

Anne Bonny et Mary Read ont prouvé à leurs contemporains qu’être une femme n’empêche pas le fait d’être une bonne pirate. Pas besoin d’attributs masculins pour manier l’épée et le pistolet, ou encore pour dompter les eaux caribéennes, seulement une force de caractère développée et du courage.

Mary Read dévoile sa véritable identité à une victime qu'elle s'apprête à achever
Gravure d’Alexandre Debelle tirée du livre de P. Christian, Histoire des pirates et corsaires de l’Océan (1846) - 	
Alexandre Debelle | Domaine public
Mary Read dévoile sa véritable identité à une victime qu’elle s’apprête à achever – Gravure d’Alexandre Debelle tirée du livre de P. Christian, Histoire des pirates et corsaires de l’Océan (1846) – Alexandre Debelle | Domaine public

Quelques liens et sources utiles

Au cœur de l’histoire : Anne Bonny et l’âge d’or de la piraterie

AZEMA Lucie. « 2. Voyage en misogynie », Les femmes aussi sont du voyage, Flammarion, 2021, p. 67‑105

France Culture, Mary Read et Anne Bonny, pirates des Caraïbes

ARTE, « Mary Read, pirate légendaire » – Invitation au voyage (21/02/2022)

STÉNUIT Marie-Ève, Mary Read et Ann Bonny. Femmes pirates, no 12, 2017, p. 9‑9.

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