L'ouvrage coup de cœur de mars : Atavi : Le Labyrinthe de Fundokolia par Arslan Cherr

La guerre d’Indochine : décolonisation française en Asie

La presse angevine comme la presse nationale française n'a pas suivi la guerre d'Indochine comme la guerre d'Algérie, pourtant du même type.
Archive départementale d’Angers Le Courrier de l’Ouest Une du 2 mai 1949 30JO8
Archive départementale d’Angers Le Courrier de l’Ouest Une du 2 mai 1949 30JO8

Explorez la guerre d’Indochine, conflit complexe qui a bouleversé la destinée de l’Asie du Sud-Est. De l’écho des batailles aux manœuvres politiques, la guerre d’Indochine dessine un tableau intense de courage, de trahisons et d’aspirations nationales. Imprégnez vous des récits marquants de cette guerre d’Indochine qui a façonné l’histoire contemporaine, par les yeux de la presse angevine.

Une guerre de décolonisation en Indochine française

La guerre d’Indochine est connue en France sous cette dénomination. En revanche, en fonction des populations qui l’évoquent, elle est nommée de différentes manières. Cela va de la guerre d’Indochine, la guerre d’indépendance d’Indochine, la guerre de résistance anti-française pour les Vietnamiens ou encore la première guerre d’Indochine pour les anglophones.

Cette guerre voit se confronter l’Indochine française aux actuels pays du Cambodge, Laos et Vietnam, avec deux acteurs forts, l’Union française et les Viet Minh. Il est important de mettre en exergue les raisons d’une présence française dans ces territoires asiatiques.

L’Union indochinoise est créée par la France en 1887. Elle comprend le Viêt Nam, le Laos, le Cambodge, mais également des territoires dans la province chinoise actuelle du Guangdong. Cette union est réalisée pour incorporer tous les nouveaux territoires que la France s’accapare entre le début de la colonisation dans la région dès 1858, sous le Second Empire, jusqu’à la fin de l’expansion coloniale française en 1907 sous la Troisième République.

L’Indochine n’est pas un territoire de peuplement, mais bien un territoire de production économique. C’est l’un des seuls qui a une balance commerciale positive. Très vite, ce territoire est considéré comme « la perle de l’empire ».

Limiter la présence britannique en Asie

L’implantation dans ce territoire est une manière de contrer la domination du Royaume-Uni, qui réalise énormément d’échanges avec l’Asie, notamment grâce à Hong-Kong alors sous domination anglaise.

Ce sont les catholiques, les militaires et les marchands qui poussèrent l’empereur Napoléon III à réaliser une intervention armée sur le territoire. Leurs raisons sont les suivantes : les catholiques souhaitent la fin des persécutions à leur encontre dans cette région, les marchands souhaitent l’importation de matières premières et les amiraux français souhaitent développer leur influence.

Dès lors un édit de persécution contre les chrétiens – de l’empereur annamite – et la décapitation d’un évêque espagnol servent de raison pour envoyer un corps expéditionnaire. Cette expédition marque le début de la présence française dans la future région de l’Indochine.

Une présence (in)contestée de la France en Asie

Des mouvements de contestations et de soulèvements ont lieu périodiquement sous l’occupation française. Nous pouvons évoquer successivement ces différents acteurs révolutionnaires qui causèrent des troubles en Indochine : les royalistes de la Cour de Huê, les pro-Japonais, les pro-Chinois, les pacifistes ou encore les communistes.

Les communistes sont des acteurs importants, car ils participent activement à la guerre. Ils prennent énormément d’importance dans les territoires du Viêt Nam après la fuite des Japonais, car ceux-ci ont désorganisé complètement l’administration coloniale française en Indochine.

Ainsi, le Viêt Minh (organisation nationalise créée par le parti communiste indochinois (PCI)) prend le contrôle d’une partie du territoire vietnamien et le chef de ce mouvement Ho Chi Minh déclare l’indépendance de la République démocratique du Viêt Nam le 2 septembre 1945.

Dès lors, une guérilla s’installe entre cette République démocratique nouvellement créée et les troupes françaises et alliées qui récupèrent progressivement les territoires capturés, puis abandonnés par les Japonais. L’idée pour la France est de créer dans ce territoire une fédération, afin de limiter le conflit et d’installer la paix.

Une guerre loin de la métropole et loin des Français

Il est important de prendre en compte la vision médiatique de cette guerre en métropole. Malgré le fait que la guerre d’Indochine ne passionne pas les Français, la presse écrit sur le sujet tout au long du conflit.

Ainsi, nous pouvons évoquer les unes réalisées sur les quotidiens traitant des événements d’Haiphong et Hanoi en janvier 1947[1], les Français sont donc informés. D’importants journaux – comme l’Humanité – ont réalisé des reportages et ont suivi la guerre pendant tout son cours ou bien une partie.

Il faut pour autant minorer ces reportages qui n’ont pas toujours figuré en première page, et qui passent parfois à la trappe dans les journaux. Il est même difficile de savoir pour la population contre qui se bat véritablement la France en Indochine. Le Monde titre : « On désigne tantôt sous le nom de Viet Nam et tantôt sous celui de Viet Minh une coalition de 7 partis politiques différents » le 17 septembre 1945.

La presse liée au Rassemblement du peuple français ne fait figurer que quatre fois la guerre d’Indochine en première page en 1948. Pour l’Humanité, la guerre y figure 16 fois au cours de cette année-là[2]. Il faut attendre les années 1950, avec l’enlisement du conflit et l’arrivée progressive de nouveaux acteurs dans la guerre pour avoir davantage de papiers qui traitent du sujet.

La guerre d’Indochine a une historiographie riche, tant grâce aux militaires qu’aux historiens

Un conflit à la suite de la Seconde Guerre mondiale

La guerre d’Indochine s’est déclenchée dans la foulée de la Seconde Guerre mondiale. Dans la seconde moitié des années 1950, la mémoire du conflit s’est révélée difficile à apaiser, étant donné sa proximité dans le temps.

Le retour des soldats en métropole et l’humiliation de la défaite de Diên Biên Phu n’ont fait qu’accentuer les passions concernant la guerre. Le déclenchement de la guerre d’Algérie à l’automne 1954 accroît encore les tensions autour de la perte de l’Indochine, dans un contexte de délitement de l’empire colonial français.

Cependant, la guerre d’Indochine est avant tout une affaire de militaires. L’opinion publique française s’intéresse assez peu à ce territoire lointain, même les grands journaux nationaux s’en désintéressent largement. Les militaires sont ainsi les premiers à se diviser sur sa perte. Il s’agira ici de comprendre comment la mémoire de ce conflit a été entretenue par les historiens, selon leurs époques et leurs différentes sensibilités. Il sera ainsi question des débats nés des différentes approches concernant le conflit.

Une opposition intellectuelle pour des historiens français

Deux grands camps idéologiques semblent d’abord s’opposer dans le traitement historique de la guerre d’Indochine. Cette dernière constitue un théâtre à part entière de la Guerre froide au cours de laquelle le bloc de l’Ouest, mené par les États-Unis, s’oppose au bloc de l’Est communiste.

Dans la péninsule indochinoise, le Viet-Minh est fortement soutenu par l’URSS et la Chine de Mao à partir de 1949. La France, quant à elle, est soutenue par les États-Unis. On observe ainsi au Vietnam une opposition frontale entre les deux idéologies dominantes, et un duel indirect entre l’URSS et les États-Unis par alliés interposés. Cet aspect idéologique profond implique que les historiens ne voient pas la guerre d’Indochine de la même façon, selon leur sensibilité politique. Deux grandes interprétations s’opposent ainsi dans les décennies qui suivent la guerre.

Critique de l’impérialisme français vis ses colonies

D’un côté, les auteurs nationalistes voient la diminution de l’influence française. La défaite de la France en Indochine, après celle de mai-juin 1940, est ressentie comme un choc terrible qui signe le déclin de la France. C’est pourquoi beaucoup préfèrent ne pas publier sur ces événements pour ne pas raviver la douleur qu’ils ont provoqués. Cela explique un certain silence éditorial de leur part dans les décennies d’après-guerre.

Par ailleurs, la progression du communisme dans la région est vue comme une menace pour le monde occidental. La remise en cause de la politique coloniale de la France par les communistes était vue comme dirigée par Moscou. Les communistes voient effectivement d’un mauvais œil la domination française et dénoncent « l’aliénation coloniale » selon eux subie par les peuples indochinois. La colonisation française est considérée comme un agent de l’impérialisme américain, fermement dénoncé par les communistes.

Ils militent pour la paix et s’insurgent contre ce qu’ils présentent comme l’occupation brutale et injustifiée des pays du Tiers-monde par les puissances occidentales. Cette pensée anti-colonialiste n’est au départ pas partagée par tous les communistes, mais elle gagne progressivement en puissance. Le plus emblématique d’entre eux est peut-être Georges Boudarel, professeur militant qui rejoint les rangs du Viet-Minh en 1950, et devient commissaire politique dans un camp de prisonniers.

La biographie en l’honneur du général Giap, qu’il publie en 1971, dresse un portrait épique et héroïque du militaire nord-vietnamien. Par conséquent, il s’agit en creux d’une dénonciation de l’occupation militaire française de la péninsule indochinoise.

Un éloignement des idées communistes

En 1991, il revient sur son engagement au sein du Parti Communiste nord-vietnamien dans Cent fleurs éclosent dans la nuit du Viêt Nam : communisme et dissidence, 1954-1956. Il y adopte un ton critique à l’égard de certaines de ses idées d’alors, sans renier complètement ses engagements de l’époque. Il suit en cela le mouvement général de remise en cause des idéaux communistes après l’effondrement de l’URSS.

L’historien Alain Ruscio est également un bon exemple de ce phénomène. Militant communiste de 1963 à 1991, il est l’auteur de plusieurs ouvrages traitant sous un jour favorable l’action communiste dans l’émancipation du pays par rapport à la France. Dans Les communistes français et la guerre d’Indochine, 1944-1954, publié en 1985, il met en valeur le rôle du PC nord-vietnamien dans la lutte victorieuse contre le corps expéditionnaire français. Ses publications post-chute du Mur et chute de l’URSS adoptent un ton différent.

Dans La guerre française d’Indochine (1945-1954) de 1992, il confesse avoir été dupé, comme beaucoup, par les « calculs des stratèges moscovites ». Il reconnait explicitement que l’héroïsation du peuple vietnamien dans les années 1950 à 1970 n’a plus lieu d’être, car forgée sur une vision biaisée de la réalité. Ses convictions ont donc évolué, et il entend ici faire une histoire « sereine » du conflit, où l’honnêteté doit rester son fil conducteur.

Faut-il en conclure que l’histoire longtemps manichéenne de la guerre d’Indochine ait laissé la place à une histoire « dépassionnée » du conflit ? Cela ne semble pas entièrement possible, car la neutralité ou l’impartialité de l’historien de peut jamais être totale. Néanmoins, le facteur idéologique perd peu à peu en importance dans les publications sur le sujet.

Les marines française et américaine ont évacué 293 000 réfugiés vietnamiens fuyant la zone nord, où la souveraineté de la République démocratique du Viêt Nam a été rétablie (octobre 1954) - U.S. Navy photo | Domaine public
Les marines française et américaine ont évacué 293 000 réfugiés vietnamiens fuyant la zone nord, où la souveraineté de la République démocratique du Viêt Nam a été rétablie (octobre 1954) – U.S. Navy photo | Domaine public

Une vision militaire et historique de la guerre

Un historien important tranche de façon décisive avec la période qui le précède. Il s’agit de Jacques Dalloz, historien au Prytanée militaire. Né en 1943, il fait de la guerre d’Indochine son domaine de prédilection.

Dans La guerre d’Indochine, 1945-1954 de 1987, il replace la guerre dans son contexte colonial, régional et mondial, et montre comment les Français ont été dépassés par la montée en puissance du Viet-Minh. Le souci d’impartialité et la rigueur de sa présentation en font un ouvrage de référence qui se démarque nettement de la période précédente à plusieurs niveaux. En effet, il s’applique à ne pas faire une simple histoire-bataille, à la manière des récits purement militaires qui ont vu le jour dans l’après-guerre. De plus, il se détache clairement des points de vue idéologiques ou hagiographiques selon lesquels le conflit était traité avant lui. Avant même la chute du mur de Berlin, cet ouvrage prend ainsi ses distances avec l’opposition idéologique propre aux années d’après-guerre.

Au cours des années 1990, plusieurs ouvrages majeurs sur le sujet sont rédigés. Le général et historien Yves Gras apporte son regard de témoin privilégié dans son Histoire de la guerre d’Indochine en 1992.

Jacques Valette livre en 1994 sa Guerre d’Indochine, 1945-1954, qui constitue une synthèse très approfondie sur l’histoire complexe du conflit. Profitant de nouveaux témoignages et archives, il apporte sa contribution dans les domaines politiques et diplomatiques, notamment sur le désintérêt des responsables hexagonaux par rapport à l’Indochine, et sur les relations entre ces derniers et les Américains.

La guerre d’Indochine du point de vue économique

En 2002, le professeur d’histoire contemporaine à la Sorbonne, Hugues Tertrais, propose une relecture financière de la guerre. Dans La Piastre et le fusil. Le coût de la guerre d’Indochine, 1945-1954, il apporte un éclairage nouveau qui permet de comprendre les raisons financières du désengagement français de la péninsule indochinoise.

Préférant déléguer le financement du conflit aux Américains, la France montre ainsi son désintérêt vis-à-vis de l’Indochine. Hugues Tertrais décrit les conséquences économiques pour les différents protagonistes : si la France parvient à sauver les meubles, il n’en est pas de même pour les États d’Indochine, qui sortent de la guerre divisés et fragilisés.

Il souligne enfin le rôle crucial des États-Unis, qui financent massivement l’effort de guerre français dans les années 1950, prélude à leur engagement futur dans la région. Hugues Tertrais montre donc que l’aspect financier pèse au moins autant que l’aspect militaire dans le déroulement et le dénouement de la guerre d’Indochine.

La guerre d’Indochine et la diplomatie

De son côté, Laurent Cesari a creusé les questions diplomatiques autour du conflit dans Le problème diplomatique de l’Indochine, 1945-1957, sorti en 2013.

L’auteur s’appuie sur une grande quantité d’archives diplomatiques, aussi bien françaises que britanniques ou américaines, jusqu’alors sous-utilisées. Ce travail permet de comprendre à quel point la « sale guerre » n’est pas seulement coloniale et locale, mais bien ancrée dans une confrontation d’envergure internationale.

Il replace ainsi l’action de la France durant le conflit dans le cadre des influences des protagonistes de la Guerre froide. Cesari éclaire enfin le lecteur sur les circonstances dans lesquelles les Américains se sont enlisés au Vietnam à la suite du retrait français, ouvrant ainsi la voie à des troubles encore plus importants.

La guerre d’Indochine et les opérations militaires

L’historien militaire Ivan Cadeau apporte son point de vue sur le déroulement militaire des opérations dans La guerre d’Indochine, de l’Indochine française aux adieux à Saigon, 1940-1956, paru en 2015. La particularité de cet ouvrage tient dans la critique du commandement français sur place et les erreurs des officiers supérieurs dans la conduite des opérations.

La faute ayant été en effet principalement rejetée sur les hésitations et les errements des responsables politiques de la IVe République. De la même façon, il explique la rareté des succès français par le manque de fiabilité des troupes indigènes contre la guérilla menée par le Viet-Minh.

Si la mémoire de la colonisation fait aujourd’hui l’objet de vifs débats concernant les pays d’Afrique anciennement colonisés par la France, notamment l’Algérie, le Vietnam semble à l’écart de ces échanges.

Les travaux sur la persistance éventuelle de réalités coloniales dans la France actuelle sont liés au contexte social et politique récent. Ainsi, la forte immigration des dernières décennies en provenance des anciennes colonies africaines fait s’élever avec plus de force le questionnement sur les rapports entre les descendants des colonisés et des colonisateurs dans l’hexagone.

Ceci-dit, les études « décoloniales » et « postcoloniales » s’interrogent sur l’ensemble du fait colonial. L’historien et philosophe Achille Mbembe pense que l’événement colonial a encore beaucoup à nous apprendre sur la compréhension de notre propre modernité.

Réfugiés vietnamiens transbordant d’un LSM français au bâtiment américain USS Montague (AKA-9) durant l’opération Passage to Freedom (août 1954) - 	PH1 H.S. Hemphill | Domaine public
Réfugiés vietnamiens transbordant d’un LSM français au bâtiment américain USS Montague (AKA-9) durant l’opération Passage to Freedom (août 1954) – PH1 H.S. Hemphill | Domaine public

L’identification des sources angevines pour connaître la couverture médiatique des actions françaises en Indochine

Afin de localiser les sources, nous avons utilisé différents outils, notamment les inventaires numériques des archives des Pays-de-la-Loire[3] ou encore les inventaires des masters et thèses réalisés dans les Pays-de-la-Loire[4].

Concernant les sources, nous nous sommes rendus aux Archives Départementales à Angers (106 rue de Frémur), où elles se trouvent en majorité. Nous avons eu accès à un dossier référençant la presse locale des siècles passés.

Après avoir laissé de côté certains journaux qui ne pouvaient que peu nous intéresser – comme la presse sportive par exemple, ou la presse qui ne se situe pas dans la période étudiée – nous avons trouvé des journaux correspondant à notre période et qui sont susceptibles de nous intéresser. Voici la liste des sources et leur cote.

Tableau de l’ensemble de nos sources

JournauxPérimètre d’influencePériodicitéChrono
Anjou DimancheRégionalHebdo1951
Avenir de CholetRégionalHebdo1944 – 1967
Avenir de l’OuestRégionalQuotidien1945 – 1946
Le BeaugeoisLocalHebdo1946 – 1982
Le courrier de l’OuestMaine-et-Loire/Deux-SèvresQuotidienDepuis 1944
La Dépêche AngevineRégionalHebdo1945 – 1946
L’écho de l’OuestDépartementalHebdo1945 – 1960
Le Maine LibreSarthe/OrneQuotidienDepuis 1944
La nouvelle républiqueCentre-OuestQuotidienDepuis 1946
Ouest FranceGrand OuestQuotidienDepuis 1944
Petit courrier d’AngersLocalHebdo1952 – 1953
La ralliementLocalHebdo1945 – 1951
Le SegréenLocal (Segré)Hebdo1945 – 1968
La volonté françaiseDépartementalHebdo1945 – 1948
Les petites affiches de l’AnjouRégional3x/mois1921 – 1956

La vision de la presse angevine et l’intérêt de la population sur cette guerre lointaine

Nous avons réalisé notre sélection sur trois journaux au périmètre différent, le Courrier de l’Ouest, la Nouvelle République et l’Ouest France. Les temporalités des journaux sont différentes, afin de pouvoir analyser l’évolution du traitement de la guerre d’Indochine dans la presse angevine.

Dans le cas du Courrier de l’Ouest, nous avons traité la cote suivante : 30JO8 pour l’année 1949. Pour la Nouvelle République, nous avons traité la cote : 84JO24 pour l’année 1952 et dans le cas du Ouest France, nous avons traité les cotes suivantes : 88JO1 (1952), 88JO16 (1952), 88JO30 (1953) et 88JO42 (1954).

Nous souhaitons comprendre comment la presse écrite diffuse l’information relative à la guerre d’Indochine. Pour cela nous traiterons nos trois sources avec la même méthode, en utilisant deux exemples d’articles par journal et en analysant la une dans sa globalité, puis en confrontant les deux articles.

La vision du Courrier de l’Ouest

La découverte des premiers numéros du Courrier de l’Ouest permet de soulever un point important ; la différence entre la presse écrite d’aujourd’hui et celle des années 1940-1950. Les unes que nous avons pu feuilleter sont chargées, avec une succession de sujets, sur différents thèmes et à l’importance variée. La lecture s’effectue de haut en bas, par l’intermédiaire de multiples colonnes.

Les deux articles que nous avons décidé d’utiliser sont placés sur la première moitié de la une, celle qui est visible même quand le journal est plié. Ce placement semble indiquer une certaine importance du sujet, car il pourrait potentiellement intéresser le lecteur et donc le pousser à l’achat.

Les unes sont donc réalisées de la sorte, les sujets importants se situant en tête de journal. Dans les deux articles que nous avons décidé d’analyser, le premier ne se rapporte à aucune page du journal, c’est une nouvelle succincte qui ne nécessite pas davantage d’informations, alors que le second lui se rapporte à une autre page dans le numéro du journal.

Nous pouvons déjà mettre en avant deux types d’articles au sein du Courrier de l’Ouest, l’un pourrait être défini comme une brève ou un filet[5] et l’autre un reportage ou une enquête. Ces articles ne nécessitent pas les mêmes moyens et n’impliquent pas la même qualité et quantité d’informations pour les lecteurs.

Analyse des articles du Courrier de l’Ouest

Le premier article date du 2 mai 1949 et a comme titre « Le général Xuan : HO-CHI-MINH pourrait collaborer au futur gouvernement vietnamien ». Cet article est très succinct et est simplement la retranscription des paroles du général Xuan.

Cette information semble quelconque et difficile à mettre en contexte pour un citoyen lambda. Cet article laisse à croire que la population est relativement bien informée. Ils savent probablement qui est le général Xuan, qui est Hô Chi Minh, où se situe la ville de Dalat. Cet article semble tenir informé les lecteurs jour après jour des avancées des négociations vis-à-vis de la construction du gouvernement vietnamien. En effet nous avons trouvé dans d’autres numéros et dans d’autres journaux, des brèves qui tiennent informés de l’avancée d’une enquête, d’un évènement ou autre, d’un jour sur l’autre.

Il porte à croire que la presse écrite est véritablement la « Grand-Messe » avant l’heure pour la population et que les informations sont suivies au jour le jour, permettant aux journalistes de dérouler les informations à travers les parutions.

Le second article est titré « HO-CHI-MINH lance une nouvelle offensive de paix. Des changements dans le Commandement français ? ». Il est publié dans le numéro du 10 mai 1949. Cet article se situe à la tête de la une et possède une suite au sein de la page 6 du journal, il semble être un acteur clé de l’actualité, que le journal souhaite transmettre aux lecteurs.

À noter cependant qu’il se situe dans une colonne relativement étroite et partage la tête du journal avec des sujets titrés : « Vers le 13 mai, commenceront à Paris des conversations préliminaires entre Occidentaux en vue de la conférence des Quatre », mais également « Les deux chefs de la bande – Pierrot le Fou et René Launay – manquent au procès de la Gestapo de l’avenue Foch qui a commencé hier » ou encore « Soudure et fixation du prix du blé ». Ces sujets ont une portée plus importante, que ce soit internationalement pour le premier, symboliquement pour le second ou économiquement pour le troisième.

Nous avons pu remarquer que le journal couvre avec beaucoup de rigueur l’affaire autour de Pierrot le Fou, il revient souvent dans les numéros de cette cote.

Malgré ces différences notables de sujet et probablement d’importance pour les lecteurs, le cas de l’Indochine est porté aux yeux de tous au sein de cette une, avec un complément d’informations au sein du journal. Il est évoqué les annonces réalisées par la « radio rebelle » concernant le chef de l’État Bao-Dai et les conditions à la mise en place de négociations pour le retour à la paix au Vietnam.

Les deux articles du Courrier de l’Ouest nous permettent de comprendre que les lecteurs sont avertis sur les sujets qui incombent à la guerre d’Indochine. Dans l’ensemble de cette cote, elle est rarement un sujet de une, mais il y a bien un récit réalisé par les journalistes des événements importants qui se trament dans cette lointaine colonie française en guerre.

La vision de La Nouvelle République

La Nouvelle République est un quotidien régional irriguant le centre et l’ouest de la France. Aujourd’hui, il est plutôt publié dans le centre de la France. C’est un quotidien qui voit le jour en 1944, issu du mouvement de résistance de la Seconde Guerre mondiale.

Analyse du premier article de la Nouvelle République

Le premier article auquel nous nous sommes intéressés date du 16 octobre 1952. La guerre d’Indochine fait la une avec ce titre « offensive du Vietminh contre le pays Thai », inscrit tout en haut à gauche de la une.

Nous pouvons alors considérer que c’est une information essentielle pour la population, étant donné que nous lisons cette une de gauche à droite. C’est le premier article sur lequel nous tombons, de plus, le titre est écrit en gras.

Pour qu’il soit plus parlant et pour que les lecteurs comprennent mieux les enjeux et ce qui se passe exactement en Indochine, l’article est accompagné d’une carte où l’on perçoit bien le positionnement des « Viets » ainsi que le territoire du pays « Thai ». De par le positionnement de l’article sur le journal et du fait qu’il soit accompagné d’une carte, nous pouvons considérer que la guerre d’Indochine est un sujet qui intéresse les français, malgré l’organisation et le fonctionnement des unes bien loin de nos standards actuels.

Aujourd’hui un sujet important englobe l’intégralité de la une d’un journal, accompagné de quelques titres notables de l’actualité. Ici, par la structure des journaux, il y a trois ou quatre articles importants, indiqués par leurs positions, leurs polices (de grande taille par rapport aux autres articles). Le sujet sur l’Indochine possède un appui visuel avec la carte.

Analyse du deuxième article de la Nouvelle République

Notre deuxième une date du samedi 18 et du dimanche 19 octobre 1952. Nous retrouvons sur la première page la une « Le Viet Minh maintient sa pression sur Nghialo ». De manière identique à notre une précédente, le texte se trouve tout en haut de la page, à droite cette fois-ci.

Le texte est une fois de plus dans une assez grande police d’écriture, l’une des plus grosse de la page et le texte est inscrit en gras. Nous pouvons lire en dessous « l’attaque n’a cependant pas encore été prononcée ».

Une photographie du poste de Phu My à 45 kilomètres de la ville d’Hanoi illustre l’article. Cette photographie est essentielle et montre l’importance du sujet, car comme pour de la couleur, une carte, un dessin ce genre de détail coûte très cher à l’éditeur.

Pour terminer, nous observons aussi un petit texte expliquant un peu plus la situation. Nous y apprenons que les troupes françaises ont réussi à prendre un fort Viet-Minh en faisant sept morts chez ces derniers. L’information se termine par l’explosion d’une mine Viet-Minh qui a détruit un train.

En analysant cette une, nous constatons que la guerre d’Indochine occupe l’actualité et la population, en effet le titre est mis en avant, il y a une photo et un texte informatif. Nous avons donc trois sources d’informations importantes. Nous nous rendons compte également que l’article sur l’Indochine occupe la moitié de la longueur de la une. De ce constat, nous pouvons affirmer une fois de plus que la question de l’Indochine est un sujet important qui est traité régulièrement par La Nouvelle République.

La vision de l’Ouest France

L’Ouest France est un quotidien régional qui a vu le jour en août 1944 et est depuis 1975 le premier quotidien français en termes de diffusion, avec plus de 600 000 exemplaires vendus chaque jour. L’Ouest France succède au journal l’Ouest Éclair, qui existait depuis 1899 mais qui a dû fermer à la libération pour collaboration.

Archive départementale d’Angers, L’Ouest France, Une du 31 décembre et du 1er Javier 1952 et 1954, 88JO
Archive départementale d’Angers, L’Ouest France, Une du 31 décembre et du 1er Javier 1952 et 1954, 88JO.

Analyse du premier article du journal Ouest France

« Deux mille Viets hors de combat depuis le début de l’opération « Bretagne » dans le delta tonkinois » ce titre est développé en détail à l’intérieur du journal datant du 31 décembre et du 1er janvier 1952.

Concernant la une en elle-même, elle est située tout en haut à droite du journal et partage la première page avec des informations de politique intérieure. En dessous de notre article, se trouve une photographie en format paysage, représentant les troupes françaises poursuivant et fouillant les unités du Viet-Minh. L’article renvoie à une page à l’intérieur du journal, ce complément d’informations traite en détail de l’opération Bretagne.

Ainsi l’opération Bretagne est une opération menée par les commandos de la marine et les forces terrestre pour nettoyer le sud du delta tonkinois. L’article décrit également les nombreux attentats qui se développent de plus en plus dans la région de Saigon.

Le document met en avant le témoignage du commandant en Indochine, Saïan. Ce témoignage permet d’avoir des informations importantes et fiables sur la situation. Ces exemples montrent une fois de plus que l’Indochine est un sujet d’actualité important pour les français, puisque même s’il n’est pas la une principale, c’est l’un des articles principaux.

Analyse du deuxième article du journal Ouest France

Notre deuxième article concerne le journal l’Ouest France et date du 27 Juillet 1954. Nous avons cherché des articles de journaux qui évoquent la fin de la guerre et le début du retrait des groupes française en Indochine. Effectivement, la guerre prend fin officiellement le 4 août 1954.

L’Indochine obtient par la suite son indépendance, nous souhaitions voir la retranscription de ces événements dans la presse locale. Nous avons ici un article nommé « « Cessez le feu » aujourd’hui au Nord Vietnam ». Il évoque brièvement l’arrêt des combats et renvoie vers un complément d’informations au cœur du journal.

Concernant la une, l’article se trouve en haut à droite du document, mais contrairement à ce que nous avons pu voir précédemment, celui ci n’est pas l’une des informations principales, la une principale étant occupée par le Tour de France. Dans le journal nous retrouvons des informations détaillées nous expliquant que les troupes françaises sont de moins en moins présentes et que les Vietnamiens présents désertent pour la plupart, phénomène qui s’accélère dans les jours à venir puisque l’armistice est désormais signé avec les accords de Genève du 20 juillet.

L’article évoque donc une question militaire, mais aussi sociale et religieuse puisqu’ensuite le document nous apprend que de nombreux catholiques partent du Vietnam : « on s’attend à un exode massif des catholiques ». L’avenir des commerçant français est également évoqué, certains souhaitent rester, mais d’autres souhaitent rentrer en métropole.

Ce qui peut nous intriguer ici, c’est que l’article ne fait pas partie du centre de l’actualité, alors que la situation est terrible pour la France en Indochine. Cette actualité est balayée par le Tour de France. Effectivement c’est un événement historique extrêmement important pour les Français – encore plus à l’époque – mais de là à le faire passer avant une information sur l’une des guerres engagées par l’État, cela peut surprendre. Nous pensons que l’information est ici moins capitale puisque l’armistice a déjà été évoqué et la fin est proche, ce qui fait que cette information capte moins l’attention qu’un événement beaucoup plus proche et qui touche plus les Français, en l’occurrence le Tour de France.

Quelle a été la vision de la guerre d’Indochine en France ?

Nous nous rendons bien compte que la guerre d’Indochine est traitée de manière récurrente par la presse locale. Nous pouvons dire que cette information fait partie des préoccupations des Français, puisqu’elle se trouve régulièrement à la une, avec des articles conséquents et détaillés. Ce n’est pas l’unique sujet évidemment, mais il fait partie – avec la politique intérieure et certains faits divers – des sujets régulièrement évoqués.

En analysant les journaux, il n’y a pas de présence abondante de ce sujet dans la presse régionale. Effectivement, pendant plusieurs jours, il peut n’y avoir aucun sujet sur l’Indochine. Mais lorsque des événements importants se déroulent, ils sont toujours évoqués par la suite dans les journaux.

Avant d’étudier les archives, nous pouvions affirmer avec les données que nous possédions que la guerre d’Indochine était nettement moins présente dans la presse que la guerre d’Algérie par la suite. Les raisons pouvaient être nombreuses, importance de la colonie, démographie, géographie, politique, administration. Mais après l’étude des différentes sources, nous pouvons dire que la guerre d’Indochine a été traitée par la presse locale et que le sujet devait importer les Français au vu du nombre de fois où nous l’avons retrouvée en une de journaux.


[1] Alain Ruscio, « L’opinion française et la guerre d’Indochine (1945 – 1954). Sondage et témoignages ». In Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 1991, n°29, pp. 35-46.

[2] Alain Ruscio, « L’opinion française et la guerre d’Indochine (1945 – 1954). Sondage et témoignages ». In Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 1991, n°29, pp. 35-46.

[3] Cet article a été utilisé pour trouver des sources : « Chronique des archives du Grand Ouest », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 118-4 | 2011, 165-211.

[4] Cet article a été utilisé pour trouver des thèses ou mémoires traitant du sujet : « La recherche dans les universités de l’Ouest », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 119-4 | 2012, 167-176.

[5] Ce sont des articles qui se composent en moins de dix lignes et qui délivrent une dépêche d’agence.

Quelques liens et sources utiles

Instruments de recherche bibliographique

Jacques Dalloz, Dictionnaire de la guerre d’Indochine 1945-1954, Paris, Armand Colin, 2006, 282 pages.

Jacques Dalloz, La guerre d’Indochine : 1945-1954, Paris, Seuil, 1987

Alain Ruscio (dir.), La Guerre française d’Indochine (1945-1954). Les sources de la connaissance. Bibliographie, filmographie, documents divers, Paris, Les Indes savantes, 2002, 1174 pages.

Michel Bodin, « Inadapté ou inadaptation ? Le corps expéditionnaire en Extrême-Orient : 1945-1954 », In Revue historique des armées, n° 3, 1979, p. 231-252.

La France et l’Indochine entre 1945-1954, politique, contexte, conflits

Christophe Bertrand, Caroline Herbelin, Jean-François Klein (dir.), Indochine des territoires et des hommes. 1856-1956, Paris, Gallimard/Musée de l’armée, 2013, 319 pages.

Charles Fourniau, Domination coloniale et résistance nationale. 1858-1914, Paris, Les Indes savantes, 2002, 845 pages.

Stein Tønnesson, 1946 : Déclenchement de la guerre d’Indochine. Les vêpres tonkinoises du 19 décembre, Paris, L’Harmattan, coll. « Recherches asiatiques », 1987, 275 pages.

Michel Bodin, L’Armée française en Indochine (1946-1954) (participation à, sous la direction de Maurice Vaisse), Paris, Complexe, Interventions, Centre d’Étude d’Histoire de la Défense, 2000.

Guy Pedroncini, Philippe Duplay (dir.), Leclerc et l’Indochine 1945-1947. Quand se noua le destin d’un empire, Paris, Albin Michel, 1992, 433 pages.

Ivan Cadeau. La guerre d’Indochine, de l’Indochine aux adieux à Saigon. 1940-1956, Paris, Tallandier, 2015, p.620.

Dalloz Jacques. Cesari (Laurent) : L’Indochine en guerres, 1945-1993. In: Revue française d’histoire d’outre-mer, tome 83, n°312, 3e trimestre 1996. p. 123.

La guerre d’Indochine en métropole et en Europe

Alain Ruscio. « L’opinion française et la guerre d’Indochine (1945 – 1954). Sondage et témoignages ». In Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 1991, n°29, pp. 35-46

Alain Ruscio. « La fin de la guerre d’Indochine (1953-1954) vue par L’Humanité », Cahiers d’histoire. In Revue d’histoire critique, 1992, 2003, 87-101.

Menou, Gaëtan, L’image du soldat en Indochine dans la presse nationale 1947-1949, dir. M. Catala.

Olivier Blazy, « La presse militaire française à destination des troupes indigènes issues des différents territoires de l’Empire puis de l’Union française », In Revue historique des armées, 271, 2013, 51-59.

Lanneau, Catherine. « Contre-propagande sur l’Indochine. La France officielle face à l’anticolonialisme en Belgique francophone (1946-1950) », In Guerres mondiales et conflits contemporains, vol. 241, no. 1, 2011.

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