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Les barons voleurs et le capitalisme américain au XIXème

Puissants et influents, les barons voleurs se sont créés de véritables empires industriels dans une société américaine inégalitaire.
Caricature "Protectors of our industries" représentant Cyrus Field, Jay Gould, William H. Vanderbilt, and Russell Sage
Caricature “The protectors of our industries” représentant Cyrus Field, Jay Gould, William H. Vanderbilt, et Russell Sage, 7 février 1883 – Puck (magazine), Library of Congress | Domaine public

Expression péjorative, le terme “barons voleurs” désigne les richissimes hommes d’affaires des États-Unis au XIXème siècle. Puissants et influents, ces derniers se sont créés de véritables empires industriels dans une société américaine en plein essor économique.

Bénéficiant d’un laisser-faire, ces milliardaires règnent dans un pays où le capitalisme sauvage prospère au détriment d’une grande partie de la population. Si les dorures du Gilded Age attirent et rayonnent, elles cachent cependant un tableau bien plus sombre.

Le Gilded Age

Le Gilded Age, ou “âge doré”, désigne une période de développement économique aux États-Unis. Entre 1865 et la fin du XIXème siècle, la croissance économique des États-Unis est fulgurante grâce au développement de grosses industries, telles que l’acier et le pétrole, de nouvelles technologies et de nouveaux modes de production.

Avec son industrialisation rapide et de grande ampleur, le pays devient la première puissance industrielle en cette deuxième moitié du XIXe. Ce modèle de croissance repose sur un système grandement libéral et capitaliste et sur des croyances profondes dans la théorie du ruissellement.

Une société américaine en changement

Cette période de changement correspond à la révolution industrielle américaine dont le dynamisme s’ancre pleinement après la fin de la guerre civile américaine. Cette révolution industrielle se caractérise par l’apparition de nouvelles technologies ainsi que des industries toujours plus puissantes en quête de véritables monopoles.

L’après guerre civile est marqué par des innovations techniques et logistiques qui changent en profondeur la société américaine. Ces changements ont été possibles par la mobilisation des ressources fossiles telles que le charbon et le pétrole, alors récemment découvert et dont la production a commencé dans les années 1860.

La production d’acier gagne aussi une place de choix dans le paysage industriel du pays transformant l’architecture avec la construction des premiers gratte-ciel et permettant le développement du chemin de fer, facteur de l’industrialisation du pays. L’électricité fait aussi sa grande entrée. Cette innovation, montrée au grand public lors de l’illumination de Wall Street par Edison en 1882, permet d’étendre plus facilement les journées de travail des ouvriers. C’est aussi l’apparition des premiers téléphones et de leur industrialisation avec la Bell Telephone Company créée en 1877.

Ces innovations techniques s’accompagnent aussi d’une nouvelle organisation du travail toujours à la recherche de plus de productivité et de rentabilité. Le travail est alors rationnalisé et est mécanisé. L’homme peut désormais aussi s’appuyer sur la puissance et l’efficacité des machines, ce qui augmente les rendements.

Champ de pétrole en Pennsylvanie, 1862 | Domaine Public
Champ de pétrole en Pennsylvanie, 1862 | Domaine Public

L’essor du chemin de fer est aussi l’un des rouages de l’industrialisation de l’Amérique. Le chemin de fer est un pilier important de la révolution industrielle car il permet d’accélérer la transition d’un mode de production principalement agricole et local à un système national, industriel et interdépendant.

En 1869, le premier chemin de fer transcontinental voit le jour, marquant une étape importante dans l’histoire des États-Unis. Il fut cependant le résultat de combinaisons politiques opaques, de corruption et de l’exploitation d’ouvriers pour la plupart immigrés irlandais et chinois payés moins de deux dollars par jour.

Une dorure cachant une société inégalitaire

L’industrialisation du pays profite à une certaine partie de la population. En effet, une minorité de la population américaine s’enrichit à outrance. Les villes industrielles telles que New York deviennent de véritables vitrines de ce luxe et étalage de richesses.

Cet enrichissement massif de certains se fait cependant au détriment d’une autre partie de la société. En effet, derrière ces dorures, les écarts et inégalités se creusent dangereusement, sans grand espoir de changement et de protection. Dans leur ouvrage sorti en 1873 appelé The Gilded Age, a Tale of Today, Mark Twain et Charles Dudley Warner pointent du doigt ces contrastes entre une élite riche et une main d’œuvre paupérisée. Ce roman satirique donna par la suite son nom à cette période pleine de contradictions.

The Robber Barons

John D. Rockefeller, Andrew Carnegie, John P. Morgan, Jay Gould, Cornelius Vanderbilt, Daniel Drew, Philip D. Armour… tous ont en commun une chose : ils ont profité du système libéral pour créer de réels empires industriels et financiers. “Capitaines d’industrie” pour leur soutien ou “robber barons” pour leurs critiques, ces entrepreneurs se sont constitués d’énormes fortunes, souvent par manigances politiques et par l’exploitation d’une main d’œuvre peu qualifiée.

Le mythe autour de ses hommes les présente comme des self-made partis de rien. Pourtant, si certains ont connu la pauvreté, ce n’est pas le cas de la majorité. En effet, 90% d’entre eux étaient issus de la petite ou de la grande bourgeoisie, bien loin de l’american dream.

Les trois figures centrales

Trois magnats se distinguent par leur importance, fortune et influence : John D. Rockefeller, Andrew Carnegie et John P. Morgan.

Portrait de John D. Rockefeller, 1907 | Domaine public
Portrait de John D. Rockefeller, 1907 | Domaine public

D’abord comptable à Cleveland, Rockefeller fit fortune dans l’industrie pétrolière en créant sa Standard Oil Company en 1870.

Contrôlant la majorité des raffineries du pays, il écrasa la concurrence et construisit un réel monopole lui permettant de contrôler entièrement les prix.

Ce magnat du pétrole n’a pas hésité à écraser les petits concurrents en utilisant parfois la violence comme à Buffalo où des responsables de la Strandard Oil ont fait exploser une raffinerie concurrente.

Par cette politique très agressive, la compagnie pétrolière réussit en 1899 à contrôler de nombreuses firmes et atteint un capital de 110 millions de dollars avec des bénéfices annuels d’environ 45 millions de dollars. Maitrisant pleinement l’industrie du pétrole, Rockefeller s’attaqua ensuite aux fer, cuivre, charbon, transports et à la finance. La fortune personnelle des Rockefeller atteignit la somme faramineuse des 2 milliards de dollars.

Issu d’une famille écossaise pauvre, Carnegie arriva aux États-Unis et travailla d’abord comme mécanicien télégraphiste puis comme courtier à Wall Street et fit fortune en investissant dans le chemin de fer.

Il se lança dans l’acier dans les années 1870 et développa cette nouvelle industrie aux États-Unis. Rapidement, Carnegie réussit à contrôler l’entièreté de la filière de l’acier et en tira des bénéfices gigantesques.

Le magnat de l’acier était persuadé de l’importance de son rôle dans la société en tant que milliardaire et essaya de le justifier idéologiquement sa position dans un texte qu’il publia en 1889, The Gospel of Wealth.

Andrew Carnegie photographié en 1878 | Domaine Public
Andrew Carnegie photographié en 1878 | Domaine Public

Dans cet évangile de la richesse, Carnegie légitime la concentration des richesses et justifie la place éminente des multimilliardaires dans la société. Il insiste aussi sur la responsabilité morale et sociale de ces derniers qui, selon lui, doivent mener des actions philanthropiques telles que des œuvres caritatives ou la création de fondations.

En 1900, il décida finalement de vendre sa Carnegie Steel Company à J.P. Morgan pour la somme de 492 millions de dollars, et est alors surnommé “l’homme le plus riche du monde” par ses contemporains.

Portrait de J.P. Morgan, 1903, Fedor Encke | Domaine Public
Portrait de J.P. Morgan, 1903, Fedor Encke | Domaine Public

J.P. Morgan est l’archétype de l’homme d’affaire féroce et est un véritable requin de la finance.

D’allure menaçante et impressionnante, Morgan est un banquier sans scrupules et n’hésite pas à profiter de crises pour assoir son influence et gonfler sa fortune, toujours à la recherche de rentabilité.

Morgan avait aussi la main sur plusieurs autres domaines comme les chemins de fer et les compagnies d’assurance. Il lia les intérêts des compagnies de chemins de fer aux banques et développa un mécanisme d’assurance très profitable.

En 1900, ce géant financier contrôlait la moitié du réseau ferroviaire américain. Il eu aussi un impact considérable sur l’économie du pays. Il permit en effet sa rationalisation et son organisation afin d’assurer une certaine stabilité du système financier. Il déclara que l’Amérique ne veut « plus de convulsions financières ni avoir quelque chose un jour et quelque chose d’autre le lendemain ».

Capitalisme sauvage et injustice grondante

Les hommes d’affaires du Gilded Age bâtissaient donc leurs empires industriels en se débarrassant de la concurrence, en maintenant les prix élevés et les salaires bas et en profitant d’une politique libérale dont la doctrine était le laisser faire à outrance. La corruption et la spéculation régnaient en affaires et en politique, toujours à la recherche du profit.

Les fortunes se faisaient en grande partie sur l’exploitation des ouvriers, classe paupérisée dont les conditions de vie et de travail étaient désastreuses. Hommes sans scrupules, la critique donna donc à ces milliardaires le nom de “barons voleurs”, profiteurs à l’extrême d’un capitalisme sauvage.

Le gouvernement américain de l’Âge doré était profondément capitaliste : toute interférence de l’État dans l’économie était exclue et sa neutralité servait de fait les plus riches qui n’hésitaient alors pas à tirer profit de ce système.

Les barons voleurs n’hésitaient pas non plus à user de la corruption pour servir leurs intérêts. Si l’État se disait neutre, le gouvernement agissait cependant en faveur des riches hommes d’affaires lorsque ces derniers versaient des pots-de-vin généreux.

Thomas Edison promis par exemple la somme de 1 000 dollars aux politiciens du New Jersey pour une législation qui lui était favorable. La compagnie Central Pacific versa 200 000 dollars de pots-de-vin à Washington pour obtenir 3,6 millions d’hectares de terres et environ 24 millions de dollars de subventions.

Par ailleurs, le gouvernement était timide à canaliser les excès des grandes industries. Il agissait en effet peu contre l’élaboration de trusts, de cartels et de monopoles. Quelques législations arrivent timidement à partir de la fin des années 1880 telles l’Interstate Commerce Act et le Hatch Act de 1887 et la loi anti-trust “loi Sherman” de 1890 visant à briser les monopoles. Ces lois s’avèrent cependant pour la plupart inefficaces et n’ont pas eu l’effet escompté.

Caricature de la Standard Oil Company, Puck Magazine, 1904 | Domaine Public
Caricature de la Standard Oil Company, Puck Magazine, 1904 | Domaine Public

Le Gilded Age est donc le théâtre d’une alliance entre les politiques et les hommes d’affaires au détriment d’une grande partie de la population qui subissait alors ce capitalisme sauvage. Les travailleurs peu qualifiés étaient les premiers à subir ce système.

Les ouvriers travaillaient en moyenne 60h par semaine pour la somme de 10 cents de l’heure, ne bénéficiaient ni de retraites ni de protection sociale. Ils n’étaient pas non plus protégés ou indemnisés en cas d’accidents du travail alors récurrents à l’époque puisqu’en moyenne 35 000 personnes mouraient tous les ans sur leur lieux de travail aux États-Unis.

Les hommes d’affaires profitaient aussi de l’arrivée de migrants qu’ils utilisaient comme main d’œuvre peu qualifiée et donc peu couteuse. Quatre millions dans les années 1890, ils représentaient une aubaine pour les industries américaines qui profitaient de leur grande pauvreté pour mieux les exploiter et les contrôler. Les enfants étaient aussi utilisés comme main d’œuvre. En 1880, aux États-Unis, un enfant sur six de moins de seize ans travaillait.

Mouvements contre l’injustice

Face à la multiplication des injustices, le monde ouvrier américain s’organise. Il créa d’abord des syndicats, souvent locaux mais dont quelques uns s’organisent à l’échelle nationale comme le syndicat The Knights of Labor fondé en 1869 qui atteignit 750 000 membres en 1886. Ses principales revendications sont les journées de 8h, l’abolition du travail des enfants, la mise en place d’un impôt sur le revenu et la nationalisation des chemins de fer.

Les premières grèves de grandes ampleur ont aussi lieu à cette période. La première grève d’ampleur nationale a eu lieu en Pennsylvanie en 1877 dans le secteur ferroviaire. Les grèves se multiplièrent dans les années 1880 pour la journée de 8h et de meilleures conditions de travail. Les syndicats faisaient cependant face à des pressions importantes et leurs mouvements faisaient l’objet de répressions violentes.

La mobilisation la plus marquante fut celle de Chicago le 1er mai 1886 qui a réuni plus de 100 000 personnes, la plus grande manifestation de l’histoire des États-Unis. La place Haymarket Square de Chicago fut le théâtre d’un rassemblement après la mort d’un gréviste tué par un policier. Lors de la manifestation, une bombe explosa, tuant sept policiers. Ces derniers ouvrirent le feu et tuèrent quatre personnes. D’autres grèves ont aussi été réprimées dans le sang telles que la grève de Homestead en 1892 et la grève Pullman de 1894.

Massacre de Haymarket Square, gravure de 1886 parue dans le journal Harper's Weekly | Domaine Public
Massacre de Haymarket Square, gravure de 1886 parue dans le journal Harper’s Weekly | Domaine Public

Les grands chefs d’entreprise sont aussi critiqués dans la presse. On assiste, pendant le Gilded Age, à l’essor du dessin satirique (ou cartoons), dont les messages véhiculés par l’humour touchent une grande partie de la population y compris les illettrés et les non-anglophones. Le corruption et le laisser-faire de l’État envers les milliardaires font l’objet de beaucoup de critiques.

Le Puck Magazine, créé en 1871 par le caricaturiste Joseph Keppler est l’un des premiers hebdomadaires satiriques qui rencontra un grand succès. Plusieurs intellectuels tels que Mark Twain, Ida Tarbell ou encore Henry Georges se sont aussi attaqués aux conséquences d’un capitalisme effréné et écrasant.

Les inégalités sont aussi de plus en plus documentées par des journalistes engagés souhaitant des réformes et appelés “muckrakers”. Le livre The Jungle de Upton Sinclair, publié en 1906, fait la description des abattoirs industriels de Chicago à la fin du XIXème et de ses conditions de travail déplorables. Jacob Riis publia en 1890 un recueil appelé How the Other Half Lives qui dépeint, à travers de nombreuses photographies, les conditions de vie difficiles dans les tenements de New York et la précarité de ceux qui y habitent.

La société, face aux conséquences visibles du capitalisme sauvage, prend ainsi conscience des dangers d’un libéralisme poussé à l’extrême. Une certaine élite commence alors à s’organiser pour combattre ces inégalités et injustices. S’ouvre alors une nouvelle période, appelée Progressive Era, marquée par le progressisme social.

Cette ère ne marque cependant par le renoncement au libéralisme mais souhaite atténuer les effets néfastes du capitalisme sauvage en instaurant des réformes sociales. C’est la première ébauche de l’Etat social.

Quelques liens et sources utiles

André Kaspi, Naissance et essor des États-Unis: 1607-1945, Paris, Ed. du Seuil, 1986.

Élisabeth Fauquert, « Chapitre 7. Le Gilded Age (1877-1896) », Civilisation américaine, Paris, Armand Colin, « Portail », 2019, p. 92-107.

Vincent Bernard (dir.), Histoire des États-Unis, 4e éd. Champs, Paris, Flammarion, 2016.

Zinn Howard, Une histoire populaire des États-Unis. De 1492 à nos jours, coll« Mémoires sociales », Agone, 2002.

Cédric Tourbe et Romain Huret, Capitalisme américain – le culte de la richesse, documentaire disponible sur Arte.

HBO, Série télévisée The Gilded Age, disponible sur Max.

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