L'ouvrage coup de cœur d'avril : Petit dictionnaire des Sales Boulots par Nicolas Méra

Henrietta Lacks, une femme dont les cellules ont sauvé des vies

Méconnue, Henrietta Lacks est la personne derrière les cellules HeLa qui ont contribué à de nombreux progrès médicaux.
Micrographie électronique à balayage d'une apoptose des cellules HeLa | Domaine Public
Micrographie électronique à balayage d’une apoptose des cellules HeLa | Domain Public

Henrietta Lacks était une femme afro-américaine dont les cellules cancéreuses ont été utilisées sans son consentement pour des recherches médicales, ce qui a conduit à de nombreuses avancées dans la médecine.

Henrietta Lacks : une vie tragique à un héritage éternel

La plupart des gens ont connaissance des cellules HeLa, mais ne connaissent pas la personne derrière ces cellules. Cette personne était Henrietta Lacks, née en 1920 et morte en 1951. En réalité, elle naît Loretta Pleasant mais aucun membre de sa famille n’a réussi à expliquer pourquoi son prénom s’est transformé de Loretta en Henrietta. Son nom de famille a été changé lorsqu’elle a été confiée à son grand-père maternel, Thomas Henry Lacks. En 1941, elle se marie avec son cousin David Lacks, et acquiert donc ce nom de famille de façon plus officielle. 

Henrietta Lacks était une Afro-Américaine à qui l’on a diagnostiqué un cancer du col de l’utérus en 1951 suite à une boule présente dans son ventre. Le cancer du col de l’utérus dont elle était affectée était un cancer à développement très rapide. En effet, lorsque qu’Henrietta a accouché en septembre 1950, aucune difformité ou anomalie n’avait été détecté au niveau de son col de l’utérus. Lors de sa mort en octobre 1951, son autopsie indique que son corps était envahi de métastases. Cela suggère donc que son cancer a été fulgurant, se propageant rapidement à travers son corps.

Plusieurs controverses entourent la vie et le traitement d’Henrietta Lacks. En premier lieu, le prélèvement des cellules d’Henrietta, qui se sont avérées extrêmement utiles pour la science par la suite, a eu lieu sans le consentement d’Henrietta. En effet, des échantillons de ses cellules cancéreuses ont été prélevées sans son consentement lors d’une biopsie. Par la suite, ces cellules ont constitué la première lignée cellulaire immortelle et ont été largement utilisées dans la recherche scientifique depuis lors. Ni elle ni sa famille n’étaient au courant de ce prélèvement, par la suite sa famille a été mise au courant que tard de l’importance des cellules d’Henrietta et de l’utilisation de celles-ci. Il y a eu de nombreuses controverses concernant le non-consentement d’Henrietta et le manque de reconnaissance pour sa personne jusqu’à aujourd’hui. Son histoire soulève des questions importantes sur les droits des patients, l’éthique de la recherche médicale et les inégalités dans le système de santé.

Il est difficile de dire avec certitude si Henrietta Lacks est morte parce qu’elle n’avait pas accès à toute l’aide médicale dont elle avait besoin en raison de sa couleur de peau. Cependant, elle n’avait accès qu’à l’hôpital Johns-Hopkins, qui était le seul grand hôpital de la région acceptant les patients de couleur. Il est donc possible de supposer qu’elle n’a pas eu accès à tous les soins nécessaires dans cet hôpital, tout autant qu’elle ne pouvait pas avoir accès aux autres hôpitaux de la région à cause de sa couleur de peau. Les soins de santé étaient souvent discriminatoires envers les Afro-Américains à l’époque où Henrietta Lacks a reçu son traitement médical initial. Les patients noirs étaient souvent traités dans des hôpitaux séparés et inférieurs, recevaient moins de soins médicaux et avaient moins accès aux traitements et aux technologies de pointe. En outre, il est important de noter que le diagnostic de cancer du col de l’utérus était souvent tardif à l’époque où Henrietta Lacks a été diagnostiquée, ce qui signifie que les chances de guérison étaient déjà faibles. Il est donc possible que le cancer de Lacks ait été trop avancé pour être traité efficacement, indépendamment de son accès aux soins de santé.

Les cellules d’Henrietta Lacks : une fenêtre sur la biologie cellulaire

Bien qu’elles n’aient pas réussi à élucider les plus grands mystères de l’histoire médicale telle que l’hystérie collective arrivée au Tanganyika en 1962, les cellules d’Henrietta ont grandement aidé le domaine médical dans sa compréhension et son raisonnement. En effet, les cellules HeLa sont largement utilisées dans la recherche médicale en raison de leur capacité à se diviser rapidement et de leur immortalité, ce qui signifie qu’elles peuvent être utilisées pour des études sur la croissance cellulaire, la différenciation, l’apoptose et le cancer. Les cellules HeLa ont été utilisées dans de nombreuses recherches importantes au fil des ans et ont contribué de manière significative à notre compréhension de la biologie cellulaire et de nombreuses maladies :

  • Étude du cancer : Les cellules HeLa ont été utilisées pour étudier les mécanismes de la croissance tumorale, de la progression du cancer et de la réponse aux médicaments.
  • Développement de vaccins : Les cellules HeLa ont été utilisées pour développer des vaccins contre la poliomyélite, la rougeole, la rubéole et encore d’autres maladies.
  • Étude des virus : Les cellules HeLa ont été utilisées pour étudier de nombreux virus, notamment le VIH, le virus Ebola et le virus de l’hépatite B.
  • Étude de la génétique : Les cellules HeLa ont été utilisées pour étudier les mutations génétiques et la régulation de l’expression des gènes.
  • Étude des cellules souches : Les cellules HeLa ont été utilisées pour étudier les cellules souches et leur potentiel pour la régénération tissulaire.

Les cellules HeLa sont uniques en raison de leur capacité à se diviser rapidement et à survivre indéfiniment en culture, ce qui est très rare pour les cellules humaines. Cette immortalité est due à une mutation dans le gène TP53, qui est un suppresseur de tumeur important. Cette mutation, qui est présente dans les cellules HeLa, permet aux cellules de se diviser indéfiniment sans être soumises aux mécanismes de contrôle normaux qui limitent la croissance et la division cellulaire. Les cellules HeLa ont également des caractéristiques génétiques et phénotypiques qui les rendent très utiles pour la recherche scientifique, notamment leur capacité à former des tumeurs dans des souris et leur sensibilité à de nombreux virus, ce qui permet de les utiliser pour étudier les mécanismes de l’infection virale.

Les commémorations modernes de la vie d’Henrietta Lacks

Le nom d’Henrietta Lacks a pour longtemps été méconnu. Cependant, depuis lors, il y a eu une reconnaissance accrue de la contribution de Henrietta Lacks à la recherche scientifique et de l’importance du consentement éclairé en matière de prélèvement de tissus et d’échantillons biologiques à des fins de recherche. En effet, ces dernières années, il y a eu une prise de conscience croissante de l’histoire de Henrietta Lacks et de l’utilisation de ses cellules HeLa en recherche médicale. Cela a été en grande partie grâce à la publication en 2010 du livre « The Immortal Life of Henrietta Lacks » de l’auteur américaine Rebecca Skloot, qui a attiré l’attention sur l’histoire de Lacks et les questions éthiques qui entourent l’utilisation des cellules HeLa.

De nombreuses commémorations ont été érigées en l’honneur d’Henrietta Lacks comme une statue présente dans la ville de Roanoke en Virginie, par exemple. La statue représente Henrietta Lacks et présente les écritures suivantes sur sa base : « More than a cell. To all the unrecognised Black Women who  have contributed to humanity, you will never be forgotten ».  Traduite, la citation signifie : « Bien plus qu’une cellule. À toutes les femmes noires méconnues qui ont contribué à l’humanité, nous ne vous oublierons jamais ». 

En plus de contribuer à la reconnaissance de la contribution d’Henrietta Lacks dans le domaine des sciences, cette plaque commémorative permet de commémorer la vie de toutes les femmes noires qui ont contribué à l’avancée de la science, ou même de l’humanité et qui sont malheureusement mal reconnues de nos jours. 

Statue d'Henrietta Lacks érigée en 2018 en Virginie, aux Etat Unis. La plaque au pied de la statue d'Henrietta  Lacks indique : "More than a cell. To all the unrecognised Black Women who have contributed to humanity, you will never be forgotten"
Statue d’Henrietta Lacks érigée en avril 2018 en Virginie | Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0

D’autres hommages ont également été rendus en sa mémoire. Par exemple, la Fondation Henrietta Lacks a été fondée en 2010 pour soutenir l’éducation et la recherche en matière de santé, ainsi que pour aider à promouvoir une plus grande reconnaissance des contributions des patients et de leurs familles à la recherche médicale. Par ailleurs, La Fondation Henrietta Lacks a financé, en 2017, un portrait mural géant de Henrietta Lacks peint sur le côté d’un bâtiment à Baltimore, où elle a vécu et où l’échantillon de cellules HeLa a été prélevé. 

Grâce à sa popularité dès sa sortie, « The Immortal Life of Henrietta Lacks » de l’auteur américaine Rebecca Skloot a été adapté en film télévisé en 2017 avec Oprah Winfrey dans le rôle de la fille de Henrietta, Deborah Lacks. Le film a été diffusé sur HBO et a suscité une plus grande sensibilisation aux questions éthiques et sociales liées à l’utilisation des cellules HeLa en recherche médicale.

Il y a également eu plusieurs conférences et événements organisés en l’honneur de Henrietta Lacks, notamment des colloques de recherche et des ateliers sur l’éthique de la recherche médicale. En outre, des bourses d’études ont été créées en son honneur pour soutenir les étudiants en médecine et en recherche biomédicale. Dans l’ensemble, il y a eu un effort croissant pour honorer la mémoire de Henrietta Lacks et de sa contribution à la recherche médicale, ainsi que pour promouvoir une meilleure compréhension des questions éthiques et sociales liées à l’utilisation des échantillons biologiques en recherche.

Quelques sources et liens utiles :

Brendan P. Lucey, Walter A. Nelson-Rees, Grover M. Hutchins (2009). Henrietta Lacks, HeLa cells, and cell culture contamination. Archives of pathology & laboratory medicine133(9), 1463-1467.

Bertrand Jordan (2021). L’héritage d’Henrietta Lacks-Chroniques génomiques. médecine/sciences37(12), 1189-1193.

Rebecca Skloot (2011). La vie immortelle d’Henrietta Lacks. Calmann-Lévy.

Truog, R. D., Kesselheim, A. S., & Joffe, S. (2012). Paying patients for their tissue: The legacy of Henrietta Lacks. Science337(6090), 37-38.

Simone Gilgenkrantz (2010). Requiem pour Henrietta. médecine/sciences26(5), 529-533.

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