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1972 : le procès de Bobigny ouvrait la voie à l’avortement

Il y a 50 ans, le procès de Bobigny marquait le début d'un épisode déterminant pour le droit à l'avortement en France…
Manifestation pour le droit à l'avortement, Paris, 2019 - Jeanne Menjoulet | Creative Commons BY 2.0
Manifestation pour le droit à l’avortement, Paris, 2019 – Jeanne Menjoulet | Creative Commons BY 2.0

En 1972, le procès de Bobigny est devenu un moment clé dans l’histoire de la lutte pour le droit à l’avortement en France. En mettant en lumière le cas d’une jeune fille mineure contrainte à l’avortement après un viol, ce procès a suscité une prise de conscience nationale et un débat public sur la nécessité de réformer la loi sur l’avortement, alors très restrictive.

La défense brillante de Gisèle Halimi, plaidant non seulement pour l’acquittement de la jeune fille mais aussi pour le droit des femmes à disposer de leur corps, a marqué les esprits et ouvert la voie à des changements législatifs majeurs.

L’histoire d’un procès contre l’avortement

A-t-on encore, aujourd’hui, le droit, en France, dans un pays que l’on dit « civilisé », de condamner des femmes pour avoir disposé d’elles-mêmes ou pour avoir aidé l’une d’entre elles à disposer d’elle-même ? Ce jugement, Messieurs, vous le savez – je ne fuis pas la difficulté, et c’est pour cela que je parle de courage – ce jugement de relaxe sera irréversible, et à votre suite, le législateur s’en préoccupera. Nous vous le disons, il faut le prononcer, parce que nous, les femmes, nous, la moitié de l’humanité, nous sommes mises en marche. Je crois que nous n’accepterons plus que se perpétue cette oppression.
Messieurs, il vous appartient aujourd’hui de dire que l’ère d’un monde fini commence.

Plaidoirie de Me Gisèle Halimi, procès de Bobigny, 1972.

Ainsi se termine la spectaculaire plaidoirie de l’avocate Gisèle Halimi, lors du procès de Marie-Claire Chevalier. Nous vous en parlions dans notre article sur l’histoire de l’avortement en France. Le procès de Bobigny, c’était il y a 50 ans.

Représentation de Marie-Claire Chevalier et Gisèle Halimi. - Elldé | Creative Commons BY-SA 4.0
Représentation de Marie-Claire Chevalier et Gisèle Halimi. – Elldé | Creative Commons BY-SA 4.0

Automne 1971, Marie-Claire Chevalier tombe enceinte suite à un viol. Refusant catégoriquement de mener cette grossesse à terme, elle fait appel à sa mère, Michèle Chevalier.

Michèle a des revenus modestes, et ne peut pas se permettre de payer 4500 francs au gynécologue qui lui propose son aide. Elle fait donc appel à une faiseuse d’ange (les faiseuses d’ange sont des femmes – pas toujours médecins – qui agissent volontairement de façon à interrompre la grossesse non voulue d’une autre), qui elle sollicitera l’aide de 3 autres collègues.

Voilà commence notre affaire : une mineure souhaitant avorter, 5 femmes souhaitant l’y aider.

L’intervention se déroule tant bien que mal. Malheureusement, quelques semaines plus tard tout s’effondre. Daniel P., violeur de Marie-Claire, est arrêté pour un vol de voiture. Dans un élan de courage inouï (inutile de préciser que nous sommes ironiques), il dénonce Marie-Claire à la police, se disant que, peut-être, la police le laissera tranquille. Bingo, les 5 femmes sont toutes mises en examen.

C’est ensuite que Michèle, la mère, trouve le livre Djamila Boupacha, de Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir. Ce livre retrace le combat de Djamila Boupacha, militante algérienne violée et torturée par des soldats français. Michèle fait appel à Gisèle Halimi pour les représenter, ce qu’elle acceptera.

Toutes ensemble, avec Simone de Beauvoir en plus, elles décideront de mener un procès politique.

Le procès de Bobigny : un procès politique

J’ai toujours professé que l’avocat politique devait être totalement engagé aux côtés des militants qu’il défend. Partisan sans restriction avec, comme armes, la connaissance du droit « ennemi », le pouvoir de déjouer les pièges de l’accusation, etc. […] Les règles d’or des procès de principe : s’adresser, par-dessus la tête des magistrats, à l’opinion publique tout entière, au pays. Pour cela, organiser une démonstration de synthèse, dépasser les faits eux-mêmes, faire le procès d’une loi, d’un système, d’une politique. Transformer les débats en tribune publique. Ce que nos adversaires nous reprochent, et on le comprend, car il n’y a rien de tel pour étouffer une cause qu’un bon huis clos expéditif.

Gisèle Halimi, La Cause des Femmes, 1973.

De nombreuses personnalités défilent au tribunal, pour défendre les inculpées. Scientifiques, Prix Nobel, comédiens, littéraires et même hommes politiques, tous s’insurgent (ce qui vaudra, par ailleurs, un blâme du conseil de l’ordre des médecins pour le professeur Paul Milliez) et se révoltent. « On exalte la maternité, parce que la maternité c’est la façon de garder la femme au foyer et de lui faire faire le ménage« , disait Simone de Beauvoir.

Comme l’on peut s’y attendre dans ce genre d’affaire, la réalité du viol de Marie-Claire est remise en cause. Pourquoi ne pas avoir alerté la police ? N’est-ce pas plutôt une manigance de sa mère ? Tous les moyens sont bons pour condamner la jeune adolescente, et avec elle, toutes les femmes de ce pays.

Marie-Claire sera finalement relaxée, la loi de 1920 (interdisant l’avortement et la contraception) n’est plus applicable. Michèle est condamnée à une amende, avec du sursis. Deux des trois faiseuses d’anges sont relaxées, et la dernière est condamnée à du sursis, assorti d’une amende.

Un retentissement inespéré

Le retentissement qu’a connu le procès de Bobigny aurait pu ne jamais avoir lieu. En effet, le procureur de Bobigny avait commencé son réquisitoire en rappelant aux journalistes que la loi du 29 juillet sur la liberté de la presse interdisait la publication des débats d’avortement (étonnant ?). Dommage pour lui, à peine le procès terminé, les articles, livres, déclarations se multiplient et explosent. Françoise Giroud, pour l’Express, défie même le tribunal de la poursuivre en justice, s’il l’ose (aucun journaliste ne sera poursuivi).

Les témoignages se multiplient. On peut même lire des gros titres de journaux disant « J’aurais accepté d’avorter Marie-Claire« . Georges Pompidou lui-même admettra que la législation est dépassée, demandant de nouveaux débats sur l’avortement et la contraception, même si l’avortement le « révulse » (le pauvre). Au fil des années, on passera de 518 condamnations pour avortement en 1971, à 288 en 1972 puis à quelques dizaines seulement en 1973.

Ce procès, et plus particulièrement, Gisèle Halimi, auront contribué à l’évolution de la question de l’avortement, notamment par la loi Veil. Un courage absolu, pour une femme qui ne manquera pas d’avoir un article consacré sur notre site.

Et si je ne parle aujourd’hui, Messieurs, que de l’avortement et de la condition faite à la femme par une loi répressive, une loi d’un autre âge, c’est moins parce que le dossier nous y contraint que parce que cette loi est la pierre de touche de l’oppression qui frappe les femmes.
C’est toujours la même classe, celle des femmes pauvres, vulnérables économiquement et socialement, cette classe des sans-argent et des sans-relations qui est frappée.
Voilà vingt ans que je plaide, Messieurs, et je pose chaque fois la question et j’autorise le tribunal à m’interrompre s’il peut me contredire. Je n’ai encore jamais plaidé pour la femme d’un haut commis de l’État, ou pour la femme d’un médecin célèbre, ou d’un grand avocat, ou d’un PDG de société, ou pour la maîtresse de ces mêmes messieurs.

Gisèle Halimi.

Quelques liens et sources utiles

Plaidoirie de Me Gisèle Halimi, procès de Bobigny, 1972.

1972 : les procès de Bobigny, Catherine Valenti, 2022.

Droit à l’avortement : en 1972, le procès de Bobigny marque l’histoire, FranceInfo, 2022.

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